Avant d’étudier ce qui se construit linguistiquement au cours de l’interaction, nous cherchons à comprendre ce dans quoi les sujets s’engagent lorsqu’ils font face à une rencontre intersubjective. Nous cherchons à étudier l’identité en interaction toujours en relation avec l’altérité dans la mesure où « celui qui pense le langage se meut déjà dans un au-delà de la subjectivité » à savoir l’intersubjectivité (Gadamer, 1975 : 129). À la suite de Gadamer, nous considérons que chaque Soi entrant en contact avec l’altérité se présente avec ses propres dimensions identitaires qu’il confrontera à celles de l’Autre. Et la capacité des sujets à s’ajuster l’un à l’autre déterminera la nature de la rencontre et des nouvelles dimensions intersubjectives ainsi construites. C’est en effet au cours de la rencontre que les sujets configurent un univers linguistique et social commun dans un cadre spatio-temporel co-construit.
En outre, les possibilités d’expression intersubjective apparaissant multiples et multimodales au sein d’interactions numériques, un « retour aux choses mêmes » (Husserl, 1929) nous semble indispensable afin d’éviter le hiatus entre rejet et engouement pour les technologies, crainte et fantasme de l’« homo-connexus » (Louart, 2014). La démarche phénoménologique nous invite à « porter sur les choses un jugement rationnel et scientifique, se régler sur les choses mêmes, revenir des discours et des opinions aux choses mêmes, les interroger en tant qu’elles se donnent elles-mêmes et repousser tous les préjugés étrangers à la chose même » (Husserl, 1913). Cette démarche appliquée à l’analyse linguistique induit une définition de l’interaction comme une mise en espace-temps de l’intersubjectivité par des ressources multimodales. Et sa transposition à l’écran infère une modification de l’essence de ces quatre pôles : intersubjectivité, espace, temps, modalité.
Ainsi, cette première partie forme un cheminement, un parcours, une démarche visant l’appréhension des modalités constitutives de l’intersubjectivité en interaction numérique. Les champs disciplinaires auxquels nous aurons recours seront principalement la linguistique et la phénoménologie — avec leurs spécialités (ethnométhodologie, analyse des interactions, phénoménotechnique, ontologie phénoménologique).
Enfin, pour les raisons précédemment énoncées, nous construirons la réflexion qui suit selon l’idée que les identités se co-construisent en interaction par des possibilités multiples d’expression intersubjective soumises aux affordances de la technologie numérique. Aussi proposons-nous de définir par une approche phénoménologique l’événement de la rencontre avant de nous intéresser aux propriétés phénoménotechniques de l’intersubjectivité numérique. Suite à quoi nous présenterons une approche interactionniste de l’identité comprise comme co-construction langagière multimodale en interaction par écran que hors écran.