1 La rencontre en quasi-synchronie écrite numérique (Tchat)
Une semaine après leurs échanges par Forum, les participants ont initié une nouvelle interaction sur la même plateforme numérique Bspace, mais cette fois en interaction quasi-synchrone écrite : un tchat.
1.1 L’ouverture d’interaction tchat
ET_Im1 : Accès « chat room » Élise
ET_Im2 : « Chat room » d’Élise au sein de la plateforme Bspace
Ce tchat a été créé en amont par l’enseignant de Berkeley. Il porte pour intitulé le nom du participant de Lyon. Chaque locuteur du côté français possède ainsi sa page de discussion à laquelle les interlocuteurs accèdent pour échanger avec lui. Cette page est nommée « chat room » par la plateforme, soit « salle de discussion ». La discussion est prévue pour débuter à l’heure du cours dans lequel elle se déroule. Les participants se trouvent donc en état de parole ouvert (Goffman, 1987) relativement simultanément (ils ne sont pas tous prêts exactement au même moment). Les interlocuteurs de ce tchat choisissent donc d’échanger précisément avec Élise. Pour ce faire, ils cliquent sur l’intitulé « Elise » dans la liste des « chat rooms ». Ils peuvent alors lire et écrire des messages. Les messages rédigés dans l’encart prévu, apparaissent dans la fenêtre lorsque le locuteur clique sur l’icône « Add message ». Le locuteur a la possibilité d’effacer le message en cours de rédaction en cliquant sur l’icône « Clear ».
ET_Im3 : Production du message sur Tchat Bspace
Les messages ajoutés sont archivés et constituent les tours de paroles de la conversation d’Élise et ses interlocutrices (séquence d’ouverture) :
Nous cherchons ici à étudier la séquence d’ouverture de la conversation qu’Élise a menée avec ses interlocutrices sur ce tchat. La séquence d’ouverture fait l’objet de notre attention dans la mesure où elle joue un rôle déterminant dans l’interaction globale qu’elle prépare. C’est au cours de cette séquence que les interactants opèrent une prise de contact physique et psychologique et une première mais décisive définition de la situation d’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 1996). Les différents types d’échanges possibles au sein de l’ouverture (salutations, salutations complémentaires, manifestations de cordialités, etc.) rendent cette séquence complexe à délimiter. Si l’ouverture commence nécessairement à la première intervention – verbale ou posturo-mimo-gestuelle – la fin de l’ouverture n’est pas liée à une dernière intervention puisque les tours d’ouverture s’enchainent avec le corps de l’interaction. Ce dernier, ayant pour thématique suggérée par les enseignants, la comparaison des systèmes éducatifs français et étasunien, nous choisissons ici de fixer la limite de la séquence d’ouverture à la première intervention sur cette thématique.
La séquence d’ouverture de ce tchat nous semble donc débuter à la première intervention :
- SHARMILA CHODHARI (Jan 31, 2013 8:18 AM PST) Bonjour!
Et s’achever avant l’échange concernant la comparaison des heures de cours :
- SHARMILA CHODHARI (Jan 31, 2013 8:37 AM PST) A quelle heure au matin est-ce que tu commences tes classes?
- janin@ens-lyon.fr (Jan 31, 2013 8:39 AM PST) ca dépend des cours mais on peut commencer à 8h30 ou 9h
- Judy Hong (Jan 31, 2013 8:39 AM PST) Ah, mais c’est assez tôt aussi!
- SHARMILA CHODHARI (Jan 31, 2013 8:40 AM PST) Ah d’accord. C’est similaire ici. Je commence a 8h chaque jour sauf vendredi.
Le dernier échange de la séquence d’ouverture est donc le suivant :
- janin@ens-lyon.fr (Jan 31, 2013 8:35 AM PST) vous n’êtes pas dans la même salle Judy et toi ?
- SHARMILA CHODHARI (Jan 31, 2013 8:36 AM PST) Oui nous sommes dans la meme salle mais a des ordinateurs differents
- SHARMILA CHODHARI (Jan 31, 2013 8:36 AM PST) Elle a deux correspondants, alors elle fait du chat avec quelqu’un autre dans votre classe
- janin@ens-lyon.fr (Jan 31, 2013 8:37 AM PST) ok
1.1.1 Organisation séquentielle
Les métadonnées générées par la plateforme participent des métaphores du chez-soi, du soi et du flux (Georges, 2008). En effet, de même que pour les réponses de présentation sur Forum, pour échanger Élise, les interlocuteurs sont invités par la plateforme à cliquer sur le lien vers sa « chat room » accédant ainsi à une page dédiée à la conversation avec cette participante. Le terme même de salle de discussion, spatialise l’interaction. Cette spatialisation s’associe à une identification par l’intitulé « Elise », faisant de cette page la salle de discussion d’Élise. La métaphore du soi s’illustre par l’identification des locuteurs. Les participants à l’interaction sont en effet identifiés par des porte-identités (Goffman, 1975) automatiquement générés à l’émission du message. Ces porte-identités sont issus des identifiants plateforme et précèdent le tour de parole du locuteur ainsi identifié. Une couleur est attribuée à chacun de ces porte-identités. Le locuteur est donc identifiable par son identifiant Bspace et sa couleur.
Le décor numérique immédiat de l’interaction consiste donc en la salle de discussion d’Élise. Et la façade à l’écran est celle générée par l’outil en caractères typographiés et colorés. Ces éléments échappent au contrôle des participants. L’identification est indicée par l’outil.
La métaphore du flux est également indicée par Bspace. En effet, les activités des locuteurs sont inscrites temporellement. Chaque tour de parole est accompagné d’une indication entre parenthèses de la date et de l’heure d’émission. Par ailleurs le nombre de messages émis par les participants est également référencé en tête de tchat.
ET_Im4 : Identification participants tchat
Notons, concernant le flux de l’interaction, que les tours de parole s’enchaînent ici avec une temporalité soutenue. Plusieurs messages possèdent la même inscription temporelle, ils sont émis à la même minute. Il serait presque nécessaire à ce niveau de simultanéité d’indiquer également les secondes. Il s’agit en effet d’un polylogue à distance, impliquant que les interactants, sans accès à la production physique des messages, ne peuvent monitorer l’allocation des tours. Le manque de précision dans la temporalité des tours, ne permet donc pas d’identifier formellement les chevauchements bien qu’ils semblent fréquents. Au sein de cette interaction quasi-synchrone, les locuteurs occupent quatre positions : rédacteur du message, émetteur du message, récepteur en attente, lecteur d’un message (Garcia et Jacob, 1999 : 347). La gestion de l’ensemble de ces positions est complexifiée par la pluralité des participants à l’interaction et l’imprécision de l’inscription temporelle des tours émis presque simultanément.
Il est par ailleurs nécessaire d’émettre des messages pour exprimer sa présence dans la mesure où lors des « silences », le corps d’autrui, n’apparaissant pas à l’écran, ne permet pas de confirmer qu’il est tout de même présent. La plateforme génère des informations sur le cadre participatif dans un encart intitulé « Users in Chat » (participants au chat). Dès lors qu’un participant clique sur le lien d’accès à la « chat room », son nom apparaît dans cet encart. Cette indication ne permet pas pour autant de s’assurer que le participant est bien face à son écran, sur cette fenêtre, « en état de parole ouvert » (Goffman, 1987). Il s’agit simplement d’un indice automatique qui demande à être confirmé par une activité interlocutive comme en témoigne la séquence d’ouverture de ce tchat.
L’ouverture débute par des salutations et des salutations complémentaires qui sont réitérées à plusieurs reprises. La langue choisie par la première locutrice est le français. Toute la séquence se déroule alors en langue française : langue première pour Élise et langue étrangère pour ses interlocutrices. Aucun trouble de compréhension linguistique n’apparaît pourtant dans les échanges. La situation d’interaction ne peut donc pas être définie comme exolingue. D’abord Sharmila salue les participants « Bonjour ! » (lg 1). Ce tour est initiatif et ne possède pas de forme nominale d’adresse.[1] Élise répond quatre minutes plus tard par une salutation accompagnée de la FNA du prénom de la première locutrice « Bonjour Sharmila ! » (lg 2). Sharmila poursuit alors par la salutation complémentaire « Comment ça va ? » (lg 3) et précise « Je suis desolee mais je ne peux pas utiliser les accents en typant parce que le clavier ne les a pas ! » (lg 4-6). Sa First Pair Part (FPP) de salutation complémentaire émise à 8:25 AM reste sans réponse à 8:27 AM. Cette pause dans l’interaction quasi-synchrone semble perçue comme trop long. Elle pose un doute sur la présence d’Élise. Sharmila émet alors une Insert Expansion questionnant la présence de son interlocutrice « Tu es là ? » (lg 7). Le tour qui suit ceux de Sharmila n’est pas émis par Élise mais par une nouvelle participante à l’interaction, Judy, et consiste en une salutation « Bonjour Elise et Sharmila ! » (lg 8). Par l’usage de FNA, Judy identifie ses partenaires d’action. Cette identification est rendue possible par les indices de cadre participatif générés par l’outil et les tours de paroles déjà émis et archivés. Sharmila maintient sa présence dans le tchat en émettant la Second Pair Part (SPP) de la salutation de Judy « Bonjour Judy » (lg 9) et remet en doute la présence d’Élise par un nouveau tour « Je ne suis pas certaine si Elise est ici ou pas… » (lg 10-11). Par ces deux SPP à la FPP de salutation de Judy, Sharmila répond en son nom et en celui d’Élise. Les deux locutrices ayant été adressées dans la salutation de Judy, mais la seconde ne faisant pas acte de présence, Sharmila choisit d’émettre un tour en son nom.
À la même minute, 8:28 AM, un tour de parole est finalement émis par Élise. Ce tour « pas de soucis pour les accents je comprendrai sans » (lg 12-13) constitue la SPP de la FPP de Sharmila émise trois minutes plus tôt « Je suis desolee mais je ne peux pas utiliser les accents en typant parce que le clavier ne les a pas ! » (lg 4-6). Le tour suivant d’Élise « Bonjour Judy » (lg 14) est la SPP à la FPP de salutation de Judy « Bonjour Elise et Sharmila » (lg 8) comme l’indique la FNA. Il permet à Élise de reprendre sa position de seconde interlocutrice de Judy – tour qui lui avait été substitué par Sharmila. Les tours ainsi émis par Élise après une pause de trois minutes ne répondent donc pas explicitement aux interrogations émises par Sharmila « Comment ça va ? » (lg 3) et « Tu-es la ? » (lg 7). Aussi, après la Third Part de remerciement « Merci ! » à l’acceptation d’excuse sur les accents, Sharmila émet de nouveau sa salutation complémentaire « Ca va bien ? » (lg 16). Cette salutation complémentaire n’est pas associée à une FNA mais Élise répond sans délai – à la même minute – tant à la salutation complémentaire « Oui ça va très bien » (lg 17) qu’au questionnement sur son absence « on était en train de régler des problèmes techniques avec mon ordi »[2] (lg 18). Ce dernier tour constitue alors la SPP des salutations complémentaires et la Second Insert Expansion de la First Insert Expansion « Tu-es la ? » (lg 7). Cette Sie fait l’objet d’une Minimal Post Expansion (Mpe) de validation par Sharmila « Oh d’accord ! » (lg 19) et Judy « D’accord ! Pas de soucis » (lg 22). Ces tours de nature MPE émis par Sharmila et Judy ont la fonction de Sequence-Closing Third (SCT), elles valident la présence actuelle d’Élise et excuse son absence antérieur.
Les tours s’enchainent comme suit :
- SHA : 1FPP -> Bonjour!
- ELI : 1SPP -> Bonjour Sharmila
- SHA : 2FPP -> Comment ca va?
- SHA : 3FPP -> Je suis desolee mais je ne peux pas utiliser les accents en typant parce que le clavier ne les a pas!
- SHA : 2FIE -> Tu-es la?
- JUD : 4FPP -> Bonjour Elise et Sharmila!
- SHA : 4SPP -> Bonjour Judy!
- SHA : 4SPP -> Je ne suis pas certaine si Elise est ici ou pas…
- ELI : 3SPP -> pas de soucis pour les accents je comprendrai sans
- ELI : 4SPP -> Bonjour Judy
- SHA : 3TP -> Merci!
- SHA : 2FPP-> Ca va bien?
- ELI : 2SPP -> Oui ça va très bien +2Sie on était en train de régler des problèmes techniques avec mon ordi
- SHA : MPE -> Oh d’accord!
- ELI : 5FPP -> Quelle heure est-il à Berkeley ?
- JUD : MPE -> D’accord! Pas de soucis
Un chevauchement semble se produire entre les Minimal Post Expansions, la FPP d’une nouvelle paire adjacente émise par Élise « Quelle heure est-il à Berkeley ? » (lg 21) et la reprise de salutation de Sharmila envers Judy « Bienvenue encore Judy ! Ca va ? » (lg 23-24). À cette temporalité de l’interaction, les topics divergent. Sharmila est toujours dans la salutation tandis qu’Élise cherche à définir le cadre spatio-temporel de l’interaction. Sharmila a eu une réponse à sa salutation complémentaire « Ca va bien ? » (lg 16) par l’une des participantes au polylogue mais pas l’autre. C’est pourquoi elle l’émet de nouveau « Ca va ? » (lg 24), cette fois associée au greeting de bienvenue adressé à Judy. Afin que cette dernière lui réponde. Cette FPP restant sans réponse, Sharmila rejoint le topic abordé par Élise, et répond par la SPP « C’est 8 h 30 » (lg 25) et la First Post Expansion « Alors, un peu tôt ! » (lg 26). Elise poursuit la Post Expansion par « Ok ici il n’est que 17h40 mais la nuit commence déjà à tomber » (lg 27-28). Cette Second Post Expansion étant émise une minute après la FPE de Sharmila, cette dernière a déjà émis un tour qui chevauche alors celui d’Élise. Ce tour de Sharmila consiste en deux interrogations « J’ai vu que c’est vers 17h30 en France, oui ? Est-ce que tu as toujours classe à l’heure tard ? » (lg 29-30). La première interrogation trouve sa réponse dans le tour émis en chevauchement par Élise. La seconde ne trouvera réponse que deux tours plus tard. Ces deux tours sont consacrés au retour de Judy dans la conversation. Judy répond alors ligne 31 à la salutation complémentaire de Sharmila ligne 24. La pause de trois minutes entre ces tours est jugée comme trop longue par Judy qui présente ses excuses en Post Expansion « Oui, ça va… Désolée, je vais changer quelquefois à mon autre salle de chat » (lg 31-32). Judy associe son excuse à une émoticône typographiée exprimant l’embarras. Pour sauver la face positive de Judy, Sharmila émet la Second Post Expansion « C’est pas grave ! » (lg 33). Elise reste dans le topic des heures de classe et répond à l’interrogation de Sharmila « généralement les cours finissent vers 18h mais pour pouvoir correspondre avec vous ce cours finit plus tard » (lg 34-36). Sharmila répond au tour d’Élise concernant le fait que « la nuit commence déjà à tomber » (lg 28) en l’adressant « Elise, je n’aime pas aller a la classe quand le soleil ne brille pas hahah » (lg 37-38). L’interaction à cet instant étant polylogale et portant sur deux topics – heure géographique et absence de Judy – Sharmila ressent la nécessité de débuter son tour par une FNA « Elise ». Le tour suivant de Sharmila est en réponse au dernier tour d’Élise sur la raison de sa présence malgré l’heure tardive « Oh ok ! Je suis desolee que vous devez rester plus pour nous ! ». Ces deux tours de Sharmila sont particulièrement dissemblables, le premier est une plaisanterie (il se termine par un rire typographié « hahah »), le second est une excuse (« desolee »).
Les tours s’enchainent ainsi :
- ELI : 5FPP -> Quelle heure est-il à Berkeley ?
- JUD : MPE -> D’accord! Pas de soucis
- SHA : 4SPP -> Bienvenue encore Judy! + 2FPP Ca va?
- SHA : 5SPP -> C’est 8 h 30
- SHA : 5FPE -> Alors, un peu tot!
- ELI : 5TP -> Ok + 5SPE ici il n’est que 17h40 mais la nuit commence déjà à tomber
- SHA : 6FPP -> J’ai vu que c’est vers 17h30 en France, oui? Est-ce que tu as toujours classe a l’heure tard?
- JUD : 2SPP -> Oui, ça va… + 2FPE Désolée, je vais changer quelquefois à mon autre salle de chat
- SHAL : 2SPE -> C’est pas grave!
- ELI : 6SPP -> généralement les cours finissent vers 18h mais pour pouvoir correspondre avec vous ce cours fini plus tard
- SHA : 5TPE -> Elise, je n’aime pas aller a la classe quand le soleil ne brille pas hahah
- SHA : 6TP -> Oh ok! Je suis desolee que vous devez rester plus pour nous!
Dès le topic de l’horaire clôturé, celui de l’absence de Judy est développé par Élise et Sharmila. La First Post Expansion de Judy « Désolée, je vais changer quelquefois à mon autre salle de chat » (lg 31-32) entraine une nouvelle paire adjacente introduite par la First Pair Part d’Élise « vous n’êtes pas dans la même salle Judy et toi ? » (lg 41-42). Ce tour dissociant Judy et Sharmila, et cette dernière étant dénommée par le pronom « toi », s’adresse à Sharmila. Les allers-retours de Judy dans l’espace discursif la désélectionne comme interlocuteur. Notons que le terme « salle » ne recouvre pas la même définition dans la FPE de Judy que dans la FPP d’Élise. La première renvoie à la « chat room », page internet consacrée à la discussion avec Élise. La seconde concerne la salle de classe physique. Ce terme fait probablement ici l’objet d’une mésinterprétation. Sharmila propose donc deux réponses. L’une – la Second Pair Part – concerne la salle physique « Oui nous sommes dans la meme salle mais à des ordinateurs differents » (lg 43-44). L’autre – en Post Expansion – se rapporte à la « chat room » Bspace « Elle a deux correspondants, alors elle fait du chat avec quelqu’un d’autre dans votre classe » (lg 45-46). Cette réponse complète est ratifiée par Élise « ok » (lg 47).
Les tours s’enchainent ainsi :
- SHA : 4SPP -> Bienvenue encore Judy! + 2FPP Ca va?
[…]
- JUD : 2SPP -> Oui, ça va… + 2FPE Désolée, je vais changer quelquefois à mon autre salle de chat
- SHA : 2SPE -> C’est pas grave!
[…]
- ELI : 7FPP -> vous n’êtes pas dans la même salle Judy et toi ?
- SHA : 7SPP -> Oui nous sommes dans la meme salle mais a des ordinateurs differents
- SHA : 7PE -> Elle a deux correspondants, alors elle fait du chat avec quelqu’un autre dans votre classe
- ELI : 7TP -> ok
Au sein de l’ensemble de cette séquence d’ouverture d’interaction quasi-synchrone, il est possible de distinguer plusieurs phases. La première phase consiste en des salutations et salutations complémentaires. La deuxième phase se rapporte à la vérification de présence ou justification d’absence, elle caractérise la dynamique du cadre participatif. Enfin au cours de la troisième phase les participants définissent les cadres spatio-temporels de l’interaction à distance. Une fois définis les espaces, temps, et participants, de la conversation, la séquence d’ouverture prend fin et peut laisser place au corps de l’interaction.
Cette séquence d’ouverture est précédée d’une pré-ouverture ménageant l’interaction à venir. Nous mentionnions en première partie que les phases constituantes de la pré-ouverture en interaction mobile pourraient être appliquées à l’introduction d’une rencontre à distance. Mondada (2008) distingue quatre phases de pré-ouverture : le choix et l’identification de l’autre comme futur partenaire de l’interaction à venir, l’organisation de la convergence avec l’interlocuteur imminent (regard, posture), la construction d’un espace interactionnel commun, la reconfiguration de l’espace interactionnel en fonction de l’activité à venir. Et il apparaît en effet que ces activités sont constitutives de la pré-ouverture d’interaction de tchat. En premier lieu, les participants de Berkeley sélectionnent le ou les participants de Lyon avec lesquels ils vont interagir en cliquant sur le lien portant leur nom et menant à leur « chat room ». En second lieu, la convergence avec l’interlocuteur se réalise par la présence mutuelle sur la page de tchat. Enfin, l’espace interactionnel commun, aménagé par Bspace, est revendiqué par les participants qui prennent la parole sur le tchat en y émettant des messages. Notons que la reconfiguration de l’espace interactionnel se réalise, non plus en pré-ouverture, mais au cours de la séquence d’ouverture. Les participants y cherchent non seulement à définir l’espace numérique de l’interaction mais également à obtenir des informations sur les espaces physiques de chacun.
Le cadre primaire de l’activité d’ouverture d’interaction tchat consiste à entamer une conversation portant sur la comparaison des systèmes éducatifs étasunien et français. C’est pour le moins ce qui a été suggéré par les enseignants. Pourtant une transformation de cadre s’opère au cours de cette ouverture. Il s’agit pour les locuteurs d’identifier leurs interlocuteurs et de déterminer leur degré d’état de parole ainsi que les différents cadres spatio-temporels qui coexistent au cours de la conversation. Cette strate supplémentaire, se superposant au cadre primaire, renvoie au phénomène de rencontre à distance. Il s’agit pour les participants de connaître l’inconnu, « remplir les blancs » induits par l’inaccessibilité des multiples façades et décors impliqués dans ce polylogue quasi-synchrone écrit.
1.1.2 Progression thématique
Les participants de Berkeley ayant sélectionné la « chat room » d’Élise sont ceux qui avaient précédemment choisi de répondre à sa présentation sur Forum : Judy et Sharmila. Aussi, avant même l’ouverture verbale de l’interaction, la relation s’affirme-t-elle. Les interlocutrices d’Élise renouvellent leur intérêt envers elle. Par là elles entretiennent une relation et la rencontre se poursuit.
Dès lors, à l’ouverture de l’interaction, il n’est pas nécessaire pour les participantes de se présenter. Elles s’adressent réciproquement par la FNA de leur prénom, faisant acte de connaissance mutuelle. Mais cet adressage ne pourrait se faire sans les métadonnées de la plateforme. L’interaction se réalisant à distance sans accès visuel physique, il ne serait pas possible sans les identifiants Bspace de début de tour de savoir qui parle. Les identités sont donc verbalement et techniquement construites. Elles sont issues conjointement des locuteurs et de l’outil. Il en va de même pour la présence immédiate. Si l’outil affiche le nom des participants connectés au tchat, il reste nécessaire que ceux-ci prennent part à l’interlocution. Les pauses sont tolérées mais ne peuvent dépasser une certaine longueur – variable en fonction de l’appréciation de chaque locuteur – au risque de mettre en doute la présence de l’interlocuteur silencieux.
Au cours de cette ouverture de tchat, il apparaît que les silences sont principalement introduits par Judy et Élise qui ne répondent pas immédiatement aux interrogations de Sharmila. Bien que la conversation se déroule dans la « chat room » d’Élise, c’est Sharmila qui occupe majoritairement l’espace discursif. En pré-ouverture d’interaction, l’intitulé de la « chat room » au nom d’une des participants préfigurait une interaction asymétrique avec Élise en position haute. Par cet intitulé, Élise apparaît comme locutrice principale dont la présence est indispensable puisque les autres participants accèdent à cette page pour converser avec elle. Toutefois, dans l’ouverture d’interaction, c’est finalement Sharmila qui se trouve être la locutrice principale. Sur l’ensemble des tours de parole, plus de la moitié est émise par Sharmila (dix-huit sur trente, contre huit par Élise et trois par Judy). En outre, Sharmila distribue les initiatives et procède à des auto-reprises de salutations et salutations complémentaires si elle n’obtient pas de réponses de tous les locuteurs du polylogue. Par ailleurs, elle souhaite elle-même la bienvenue à Judy dans l’espace discursif d’Élise.
Cette position haute dans l’interaction occupée par Sharmila pourrait révéler des informations identitaires sur cette locutrice et des éléments sur la relation entre les trois locutrices. Néanmoins, le contexte vient nuancer l’investissement supérieur de Sharmila dans l’interaction. En effet, les silences d’Élise et Judy se justifient par des activités parallèles à cette interaction. Élise explique cette activité parallèle par l’énoncé descriptif « on était en train de régler des problèmes techniques avec mon ordi » (lg 17). Le tchat se réalisant techniquement via l’ordinateur, dès lors que ceux-ci rencontrent un problème, la communication est interrompue pour la personne concernée. Cet énoncé justifie donc les silences dont la responsabilité incombe alors au médium et non au locuteur. Par cet énoncé, Élise manifeste sa présence, motive son absence antérieure, se dédouane et reprend part à l’interaction. Par ailleurs, Judy pressée par les reprises de salutations adressées à elle par Sharmila, vient également justifier ses silences et s’en excuser par l’énoncé métadiscursif « Désolée, je vais changer quelquefois à mon autre salle de chat » (lg 31-32). Par cet énoncé, Judy introduit une nouvelle dimension à la situation d’énonciation : elle est impliquée simultanément dans deux conversations parallèles. Seuls l’archivage des messages et la facilité de navigation d’une page à l’autre (par un clic sur l’icône « change room » en tête de tchat) permettent ce type de situation d’interaction. Mais en occupant alternativement deux espaces discursifs, Judy réduit sa présence dans chacune. Elle prend le risque de ne pas recevoir les tours qui lui sont adressés au moment de leur émission. Cette posture énonciatrice particulière de présence-absence peut constituer un Face Threatening Act pour les autres participants à l’énonciation. Les sorties de conversation de Judy peuvent révéler un désintérêt pour l’interaction en cours dans l’une des « chat rooms ». C’est pourquoi Judy s’excuse verbalement de ce potentiel FTA par l’adjectif « désolée » (lg 31) et exprime un sentiment d’embarras par l’émoticône de mimique faciale «
» (lg 32) représentant des yeux et une bouche oblique. Par ailleurs la périphrase verbale au futur proche « je vais changer » (lg 31) indique que d’autres absences sont à venir. Judy ne s’excuse donc pas seulement pour son silence antérieur mais également pour les silences à venir. Par ailleurs l’utilisation de l’adjectif possessif « mon » qualifiant l’ « autre salle de chat » (lg 32) révèle que la locutrice s’est approprié les deux espaces discursifs. La salle de discussion parallèle ne se trouve pas être subalterne. Cette conversation avec Élise et Sharmila ne constitue pas son interaction principale. Judy modalise toutefois l’importance de sa conversation parallèle par l’usage de l’adverbe « quelquefois » (lg 32). Par cet énoncé, la locutrice spatialise les conversations qu’elle mène, accorde de l’importance à chacune de ses interactions et s’excuse multimodalement de la FTA commise par son engagement interactionnel ainsi diminué.
Cette révélation de présence-absence de Judy aura deux effets : l’indulgence de Sharmila et la remise en question des espaces discursifs par Élise. Sharmila, par l’énoncé « C’est pas grave ! » (lg 33), reçoit et accepte l’excuse présentée par Judy. Par la négation de l’attribut « grave », la locutrice minimise la gravité des absences de l’interlocutrice et sauve la face de chacune. Reste que les participantes prennent acte de la présence-absence de Judy qui se trouve alors désélectionnée comme interlocutrice adressée dans la suite des échanges, même si elle reste ratifiée. Judy sera mentionnée par le pronom personnel « elle » et intégrera l’énonciation de Sharmila. La polyphonie dans le discours de Sharmila recouvre celle-ci pour locutrice et Judy pour énonciatrice, notamment dans les énoncés « elle a deux correspondants » (lg 45-46) et « alors elle fait du chat avec quelqu’un d’autre dans votre classe. » (lg 46).
Ces énoncés sont induits par l’interrogation d’Élise sur l’occupation des espaces discursifs par les participants à l’interaction. Si son propre espace est vécu et clairement défini par Élise, celui de ses interlocutrices semble remis en cause par l’énoncé de Judy et plus précisément par le groupe nominal « mon autre salle de chat » (lg 32). Si l’interaction globale se déroule entre des participants de deux zones géographiques distincts – l’ENS de Lyon et l’Université de Berkeley – et induit deux espaces – celui des Lyonnais et celui des Berkeleyens – le caractère polylogale de cette interaction manifesté par l’énoncé de Judy, remet en cause cette dualité. La question à la forme négative « vous n’êtes pas dans la même salle Judy et toi ? » (lg 41-42) nous renseigne sur la perception d’Élise. Cette dernière se représentait ses deux interlocutrices comme partageant un seul et même espace. L’espace questionné par Élise est celui de la « salle ». La réponse de Sharmila à la définition de l’espace interactionnel du côté de Berkeley recouvre l’espace physique « dans la même salle » (lg 44) et « dans votre classe » (lg 46), l’espace artefactuel « a des ordinateurs différents » (lg 44), l’espace de l’interface « du chat avec quelqu’un d’autre » (lg 46). Notons que ces trois espaces sont introduits par des prépositions spécifiques. La préposition « dans » pour l’espace physique induit une inclusion du sujet dans cet espace. L’espace de l’artefact est introduit par « à », du latin ad « dans la direction de, vers », indiquant une présence tournée vers cet espace. Enfin l’espace de l’interface est défini par une activité « faire du chat ». Judy et Sharmila se trouvent donc dans un même espace, tournées vers des écrans différents, faisant une activité similaire mais avec des individus différents.
La temporalité de l’interaction fait également l’objet d’une recherche de définition de la part des locutrices au cours de la séquence d’ouverture. Elle est introduite par l’énoncé interrogatif d’Élise « Quelle heure est-il à Berkeley ? » (lg 20-21). Le complément circonstanciel de lieu « à Berkeley » engage l’implicite d’amont selon lequel l’heure de Berkeley n’est pas équivalente à l’heure de Lyon. L’espace et le temps sont ici particulièrement corrélés. L’espace qu’occupe Élise ne renvoie pas à la même temporalité que celle de l’espace de ses interlocutrices – fuseau horaire différent. Élise a donc connaissance du fait qu’il n’est pas la même heure pour ses interlocutrices et le relève dans l’interaction. Il ne s’agit pas simplement ici de savoir l’heure pour chacune mais de connaître le moment de la journée et par là l’état physique dans lequel se trouvent les participants. D’autant plus que l’heure de Berkeley est affichée au début de chaque tour de parole (indication générée par la plateforme). Aussi la réponse de Sharmila ne consiste-t-elle pas uniquement à énoncer l’heure « c’est 8h30 » (lg 25), elle est complétée par une définition subjective de cette temporalité « Alors, c’est un peu tot ! » (lg 26). Il en va de même pour l’expression de la temporalité d’Élise qui mêle objectivité et subjectivité « ici il n’est que 17h40 mais la nuit commence déjà à tomber » (lg 27-28). La locutrice oppose par la conjonction « mais » l’heure et l’événement naturel indiquant que la journée touche à sa fin. Les locutrices ne transmettent pas seulement l’heure mais n’indiquent pas non plus explicitement leur état. Elles expriment la place temporelle de cette interaction au sein de leur journée – tôt pour l’une, tard pour l’autre. Entre ces deux temporalités subjectives, se ménage une temporalité intersubjective, celle de l’enchainement des tours de parole dans l’espace intersubjectif de la « chat room ».
Au sein de l’espace-temps discursif de l’ouverture de tchat, la présence simultanée des participantes manifestée par les métadonnées, discours, et métadiscours confirme les existences de chacune à l’écran. Le besoin d’individuation est pris en charge par la plateforme qui génère des porte-identités en début de tour. Mais ceux-ci échappent au contrôle des locutrices qui n’ont pas le choix de l’apparence de ces porte-identités – nom, couleur, police. Le besoin d’intégration est quant à lui satisfait pour Élise par la simple présence de ses interlocutrices dans sa « chat room ». L’intégration de Judy est plus complexe dans la mesure où elle s’engage dans deux groupes différents se rendant peu présente dans celui-ci. Sharmila associe ici le besoin d’intégration au besoin de contrôle en ce qu’elle distribue les initiatives, émet la plus grande part des énoncés, effectue des auto-reprises d’interrogatives pour vérifier l’implication de ses interlocutrices dans l’interaction. Sharmila se valorise ainsi par son rôle de régulateur de l’interaction. Élise est de fait valorisée par la configuration de l’interaction, elle dispose de sa propre « chat room ». L’accès à cet espace discursif par autrui constitue un Face Flattering Act. La présence-absence de Judy dans l’interaction la dévalorise rapidement en ce qu’elle ne se trouve plus adressée par les autres participants dans la suite de l’ouverture.
Dans cette séquence d’ouverture, les identités ne sont plus l’objet principal du discours. Mais il apparaît que tout acte ou non-acte des participants ainsi que chaque relationème révèlent les statuts de chacun dans l’interaction. Ils constituent en eux-mêmes des informations identitaires. En outre les informations générées par l’outil forment le socle des identités et statut interactionnels à partir duquel sont attendues des confirmations ou infirmations de la part des interactants. Ce sont les activités techniques et discursives des locuteurs qui manifestent leur existence auprès des autres et construisent leur identité.
1.2 La clôture d’interaction tchat
Nous cherchons maintenant à étudier la séquence de clôture de la conversation qu’Élise a menée avec ses interlocutrices sur ce tchat. La séquence de clôture fait l’objet de notre attention dans la mesure où elle joue un rôle aussi déterminant que l’ouverture dans l’interaction globale. Il s’agit, au sein de la clôture, d’annoncer et d’organiser de manière harmonieuse la fin de l’interaction notamment au moyen d’échanges à fonction « euphorisante » (évaluation positive de la rencontre, excuse et justification du départ, remerciement, vœux, salutations et promesses de se revoir,…) (Kerbrat-Orecchioni, 1999). La clôture nécessite un aménagement dans la mesure où les participants mettent fin à l’interaction et par là même à leur relation immédiate. Aussi est-elle fréquemment précédée d’une pré-clôture menant aux salutations finales tout en ménageant les faces.
La séquence de clôture de ce tchat apparaît dans les échanges suivants :
1.2.1 Organisation séquentielle
Cette séquence de clôture est initiée par Élise avec le tour de pré-clôture « Notre professeur nous demande d’arrêter la communication » (lg4-5). Ce tour est précédé par celui de Madeline. Cette dernière a rejoint la conversation en cours, à 09h02, soit quarante-quatre minutes après son commencement (08h18) et vingt-quatre minutes avant sa fin (09h26). Elle n’a donc que peu participé à l’interaction mais est présente à sa clôture.
Le tour de Madeline « non ! J’ai mal parlé, je pense que je recois une éducation mieux que mes amis qui attendent les autres universités » (lg 1-3) appartient au corps de l’interaction dont le topic est la comparaison des systèmes éducatifs étasunien et français. Il fait partie du dernier échange précédant la clôture. Aussi le nommerons-nous l’échange zéro. Le tour de Madeline est la Second Pair Part de cet échange zéro initié antérieurement par Sharmila et clôturé également par Sharmila avec la Third Part « Ohhh d’accord ! Je pense que c’est moi qui a malcompris ! Desolee » (lg 10-11). La Third Part de Sharmila et la pré-clôture d’Élise font très probablement l’objet d’un chevauchement. Ce chevauchement inclut vraisemblablement une autre pré-clôture ; celle de Madeline « mais, je pense que c’est l’heure » (lg 7-8), dans la mesure où ces tours ne tiennent pas compte les uns des autres et sont émis dans la même minute (9:24 AM).
La pré-clôture est donc simultanément initiée par Élise et Madeline. De ces deux participantes, l’une se trouve à Lyon l’autre à Berkeley. Elles ont tout de même pu juger synchroniquement que la conversation touchait à sa fin, et ce par l’intervention de leurs enseignants respectifs. Ces derniers, l’enseignant de Berkeley et l’enseignante de Lyon, veillent sur la temporalité des interactions qui commencent et finissent dans les limites des heures de classe de ce cours de didactique. La pré-clôture des interactants se trouve donc instruite par des tiers.
Les deux First Pair Part de pré-clôture émises par Élise et Madeline sont complétées par la Second Pair Part de Sharmila « Oui malheureusement il faut partir ! » (lg 12-13) qui confirme (« oui ») avec regret (« malheureusement ») la fin de l’échange (« il faut partir »). Les salutations de clôture se font alors sur la même base pour les quatre interactantes : « à bientôt ». Élise complète cette salutation par la Forme Nominale d’Adresse « à toutes » : « A bientôt à toute » (lg 5). Madeline et Sharmila la ponctue d’un point d’exclamation « a bien tot ! » (lg 9) et « A bientot ! » (lg 14). Judy l’associe à une émoticône typographiée mimiquant un sourire « A bientôt ! 🙂 » (lg 15). Cette émoticône peut être considérée comme une Post Expansion à la salutation en ce qu’elle permet d’exprimer une évaluation positive de la rencontre au même titre que la Post Expansion d’Élise « Au plaisir de rediscuter avec vous » (lg 5-6) et celle de Sharmila « Merci de nous parler ! » (lg 16). Le dernier tour de la clôture est émis par Élise en réponse à celui de Sharmila, « Avec plaisir !!! » (lg 17).
Il est à noter que les tours d’Élise de pré-clôture, salutation finale et évaluation positive font l’objet d’un seul message. Les tours de paroles restants se distribuent alors entre les autres interactantes tout au long de la clôture. C’est Sharmila qui relancera une ultime fois Élise par sa Post Expansion.
Les tours s’enchainent comme suit :
- SHA : 0FPP -> Madline, ton ami ne pense pas que Berkeley offre une bonne éducation ???
[…]
- MAD : 0SPP -> non! j’ai mal parlé, je pense que je recois une education mieux que mes amis qui attendent les autres universités
——–
- ELI : 1FPP -> Notre professeur nous demande d’arrêter la communication. + 2FPP A bientôt à toute. + 1FPE Au plaisir de rediscuter avec vous.
- MAD : 1bisFPP -> mais, je pense que c’est l’heure
- MAD : 2SPP -> a bien tot!
- SHA : 0TP -> Ohhh d’accord! Je pense que c’est moi qui a malcompris! Desolee!
- SHA : 1(bis)SPP -> Oui malheureusement il faut partir!
- SHA : 2SPP -> A bientot!
- JUD : 1(bis)SPP -> D’accord! + 2SPP A bientôt! + 1SPE 🙂
- SHA : 2FPE -> Merci de nous parler!
- ELI : 2SPE -> Avec plaisir !!!
L’ensemble de cette séquence de clôture d’interaction quasi-synchrone est particulièrement répétitif. Les interactants réalisent tour à tour, parfois simultanément, les trois mêmes activités : indiquer la fin de la discussion, saluer en projetant une prochaine conversation, évaluer positivement l’interaction. Notons que si la phase de pré-clôture initie les tours de la séquence de clôture, cette dernière est également suivie de phases de fermeture de l’interaction. En effet, une « post-clôture » de l’interaction tchat marque le désengagement des participants. La post-clôture constitue le pendant de la pré-ouverture. Elle consiste à ne plus émettre de message, sortir de l’espace interactionnel commun (« chat room »), et éventuellement se déconnecter de Bspace ou engager une nouvelle activité. L’espace-temps d’interaction construit en pré-ouverture se déconstruit en post-clôture.
Le cadre primaire de cette courte activité (deux minutes) de clôture d’interaction tchat consiste à mettre fin à une conversation portant sur la comparaison des systèmes éducatifs étasunien et français. Néanmoins une transformation de cadre s’opère au cours de cette clôture par le choix de salutation finale « À bientôt ». Celle-ci, émise par chacune des participantes, et étendue par Élise « au plaisir de rediscuter avec vous » induit une nouvelle conversation à venir. Cette strate supplémentaire, de projection de la prochaine interaction, se superpose au cadre primaire. La rencontre ne touche pas encore à sa fin, elle est mise en suspens.
1.2.2 Progression thématique
La clôture d’interaction est initiée par trois formes de pré-clôture. Celle d’Élise « Notre professeur nous demande d’arrêter la communication » (lg 4-5) est polyphonique. Il s’agit d’un discours rapporté indirect qui fait entendre plusieurs voix dans l’énonciation : celle de la locutrice – Elise – et celle de l’énonciatrice – l’enseignante de Lyon. Par cet énoncé Élise répond à la demande de l’enseignante, transmet à ses interlocuteurs la demande qui lui a été faite, et exprime explicitement l’origine de la clôture à suivre. Par là, la locutrice se décharge du Face Threatening Act que peut induire la rupture de conversation avec ses interlocutrices. La pré-clôture de Madeline « mais, je pense que c’est l’heure » (lg 7-8) est moins explicite. La conjonction « mais » en début d’énoncé ménage une opposition entre l’énoncé précédent appartenant au corps de l’interaction et l’énoncé suivant introduisant la clôture. Ce dernier est modalisé par le verbe « penser » et fait l’objet d’une ellipse « c’est l’heure » n’étant pas suivi d’un complément du nom. L’interaction se déroulant au sein d’un cours de didactique, l’implicite d’amont ici est que l’heure de la fin du cours approche et l’implicite d’aval que la conversation ne peut plus se poursuivre. Par sa pré-clôture Madeline invoque donc, elle aussi, un élément extérieur pour justifier la clôture à suivre. Sharmila confirme les pré-clôtures « Oui malheureusement il faut partir » (lg 12-13). Cette confirmation est exprimée par l’adverbe affirmatif « oui » et l’impératif impersonnel « il faut partir ». Cette injonction relève du discours indirect libre en ce qu’il ne s’agit pas d’une volonté personnelle mais extérieure. Cet énoncé polyphonique témoigne autant de l’injonction extérieure que de l’auto-implication subjective de la locutrice. L’adverbe « malheureusement » nous renseigne en effet sur la posture de Sharmila vis à vis du discours qu’elle rapporte. Elle ne souhaite, au contraire, pas mettre fin à la conversation en cours. Ces indices de contextualisation (Gumperz, 1992) nous révèlent que la temporalité dynamique de l’interaction – enchainement des tours de parole – s’inscrit explicitement dans une temporalité globale extérieure à la conversation. Les locutrices doivent prendre acte et gérer les multiples temporalités impliquées dans l’interaction située.
Au sein de cette clôture d’interaction, la phase d’évaluation positive de la conversation est observée par les trois locutrices initiales. Par la formule de politesse générique « Au plaisir de rediscuter avec vous » (lg 5-6) Élise exprime autant le « plaisir » qu’elle a eu à converser avec ses interlocutrices que celui qu’elle aura à converser de nouveau avec elles « rediscuter ». Le pronom personnel Forme Nominale d’Adresse « vous » attribue le Face Flattering Act à toutes ses interlocutrices actuelles et les sélectionne toutes comme interlocutrices futures. L’émoticône de sourire « 🙂 » (lg 15) typographiée par Judy nous renseigne sur son état émotionnel positif mais ne nous permet pas de déterminer à quel thème elle se rapporte – l’interaction passée ou à venir ou les deux. Bien que les salutations finales aient été émises, Sharmila relance ses interlocutrices par un remerciement « Merci de nous parler » (lg 16). L’interjection « merci » est complétée par le verbe « parler » dont le complément d’objet indirect est le pronom personnel « nous ». La locutrice manifeste ainsi une distinction entre un « nous » et un « vous », entre deux groupes de locuteurs. Cette distinction implicite est immédiatement identifiée par Élise qui répond « Avec plaisir !!! » (lg 17). Cet échange révèle que le polylogue est asymétrique, il recouvre une locutrice d’une part et trois interlocutrices d’autre part. Cet effet est probablement dû à la configuration spatiale géographique – une locutrice dans la classe de Lyon les autres dans la classe à Berkeley – et numérique – la salle de discussion « chat room » au nom d’Élise. Cette dernière occupe alors une position haute dans cet échange interactionnel et le FFA envers elle se trouve être un FTA envers les autres locuteurs. Aussi Élise répond-elle également par un énoncé mélioratif, ponctué par trois points d’exclamation exprimant l’enthousiasme « Avec plaisir !!! » (lg 17), qui forme un FFA envers ses interlocutrices et rétablit une horizontalité dans l’échange.
Comme dans la séquence d’ouverture, les identités ne sont plus l’objet principal des productions de la séquence de clôture. Néanmoins, nous mentionnions concernant la première séquence que tout acte ou non-acte des participants ainsi que chaque relationème révèlent les statuts de chacun dans l’interaction et constituent en eux-mêmes des informations identitaires. Il en va de même dans cette séquence de clôture. Il est nécessaire d’y ménager les faces afin de se quitter harmonieusement et maintenir la relation qui est amenée à se poursuivre. Aussi la décision de mettre fin à l’échange n’est-elle pas unilatérale, ni soudaine. Elle est amenée par des pré-clôtures justificatives, et ce par trois des quatre interactantes. La compréhension de la conclusion de l’interaction est partagée, tout comme la projection d’une nouvelle interaction. Seuls quelques tours suffisent alors à clore la discussion. Les tours sont gérés malgré les décalages induits par les chevauchements en communication numérique. La clôture est harmonieuse et la relation maintenue voire entretenue par des FFA multimodaux (texte, ponctuation, émoticône).
1.3 Réduction éidétique du tchat
Les participants géographiquement distants ne partagent pas tous le même espace ni la même temporalité. Pour autant, ils parviennent à se ménager un espace-temps de l’interaction. La page de tchat d’Élise constitue un point de rencontre. Se rendre sur cette « chat room » permet aux sujets de converser ensemble. La spécificité de l’interaction par tchat est qu’elle impose à tous les participants d’être simultanément en « état de parole ouvert » (Goffman, 1987). Cet état doit être exprimé par une production langagière au sein de l’espace prévu à cet effet. L’activité physique et technique des sujets émettant des messages doit être reçue, validée et ratifiée dans une temporalité soutenue au risque de paraître absent.
L’interaction asynchrone par forum nous révélait la coexistence de deux espaces-temps – celui du locuteur à l’émission de son message et celui de l’interlocuteur à la réception de celui – ainsi qu’un troisième espace-temps permettant aux deux premiers d’entrer en contact. Ce troisième cadre spatio-temporel était permis par l’archivage des messages de la plateforme et l’ouverture de celle-ci permettant aux sujets d’y entrer ou d’en sortir à leur gré, et d’y percevoir les activités passées d’autrui dont les traces étaient automatiquement indicées. L’espace-temps objectif permettait alors aux espaces-temps subjectifs de coexister mais pas simultanément. Il en est autrement pour l’interaction quasi-synchrone par tchat. La présence immédiate des sujets est nécessaire à la bonne conduite de la rencontre. Si cette présence se manifeste sur le tchat numérique, elle doit préalablement se réaliser dans des espaces physiques. Le caractère multipartite de la conversation révèle la multiplication des espaces de natures différentes : l’espace objectif de la salle de classe (dans l’une ou l’autre des villes), l’espace subjectif de l’artefact (chacune à son ordinateur), l’espace intersubjectif de l’interface (la « chat room » commune). La temporalité fait également l’objet de distinction : la temporalité objective de l’heure géographique (de l’une ou l’autre des villes), la temporalité subjective d’émission-réception des informations (les temps de réception, lecture, rédaction et émission de messages parfois entrecoupés d’incidents techniques), la temporalité intersubjective de la dynamique conversationnelle (adressage, distribution et régulation des tours de parole dans l’interaction).
Le degré d’aura phénoménologique de l’interaction quasi-synchrone dans ces espaces-temps se révèle relatif à la définition et la gestion qu’en font les participants. L’expression et la description des espaces-temps impliqués dans l’interaction s’avèrent capitale dans la séquence d’ouverture. La co-construction d’un espace-temps intersubjectif n’est pas suffisante à la conduite harmonieuse de l’interaction. Les sujets cherchent à circonscrire l’étendue des espaces-temps impliqués. Plus cette circonscription sera activement saisie plus le degré d’aura phénoménologique des sujets sera élevé.
L’interaction à ce stade ne présente pas seulement un caractère intersubjectif, elle est dépendante de cette intersubjectivité. L’enchainement des tours induit une prise en compte mutuelle des existences des sujets mais elle n’est plus suffisante pour mener la rencontre interindividuelle. Il s’agit désormais de faire émerger une relation interpersonnelle et de définir un contexte d’émergence. Ce stade de la rencontre tient de la connaissance d’autrui et de son environnement interactionnel immédiat. Néanmoins, en interaction écrite quasi-synchrone, cette connaissance d’autrui et du contexte demeure limitée. Les sujets, n’ayant toujours pas d’accès visuel aux corps et leurs espaces, doivent faire émerger verbalement Soi, Autrui, l’espace et le temps.
[1] L’échec de la capture dynamique d’écran de ce tchat ne nous permet pas de compléter l’analyse des tours par les informations du cadre participatif générés par Bspace.
[2] Nous tentions avec la participante de lancer la capture dynamique d’écran, sans succès. C’est donc notre intervention qui a interféré avec l’interaction. (cf. Discussion finale)